C’est une réforme qui pourrait bien rebattre les cartes du marché du travail. Publiée au Journal officiel le 24 octobre 2025, la loi n°2025-989 sur l’emploi des salariés expérimentés entre en vigueur, marquant un tournant décisif pour les plus de 57 ans. Fruit d’une transposition des accords interprofessionnels (ANI) signés plus tôt dans l’année, cette loi entend mettre fin à un paradoxe français : celui d’une population active vieillissante mais encore trop souvent mise à l’écart du monde du travail.
Avec des mesures concrètes, des objectifs de transmission des savoirs et un accompagnement renforcé des fins de carrière, le gouvernement promet un dispositif « concret et opérationnel ». Mais entre les ambitions politiques et la réalité du terrain, le chemin s’annonce exigeant.
Un texte né d’un consensus inédit entre syndicats et patronat
La genèse de cette loi mérite attention. Elle découle directement des accords nationaux interprofessionnels (ANI) conclus au printemps 2025, après plusieurs mois de négociations tendues entre les organisations syndicales et patronales. Tous avaient un objectif commun : trouver des solutions viables pour favoriser l’embauche, la reconversion et le maintien dans l’emploi des seniors.
Jusqu’ici, la France peinait à offrir de vraies perspectives aux salariés de plus de 55 ans. En 2024, selon la Dares, seuls 36 % des demandeurs d’emploi âgés de 57 ans et plus retrouvaient un poste dans les douze mois suivant leur inscription à Pôle emploi. Un chiffre alarmant, dans un contexte de vieillissement accéléré de la population active et de réforme des retraites.
Le texte entérine donc une nouvelle approche : considérer les seniors non plus comme des salariés en fin de parcours, mais comme des professionnels expérimentés, détenteurs d’un capital de compétences utile à l’entreprise et à la société.
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De nouvelles obligations pour les grandes entreprises
L’un des piliers de la loi concerne les entreprises de plus de 300 salariés, désormais tenues d’ouvrir des négociations spécifiques sur la place et l’évolution des « salariés expérimentés ».
Ces discussions, encadrées par les branches professionnelles, devront aborder plusieurs thèmes :
- l’accès à la formation et à la reconversion,
- la gestion des fins de carrière,
- la transmission des compétences entre générations.
Les employeurs devront présenter chaque année un bilan d’actions et des indicateurs de suivi, sous peine de pénalités financières. Ce renforcement du dialogue social vise à ancrer durablement le sujet des seniors dans la stratégie RH des entreprises, à la manière de ce qui a été fait pour l’égalité femmes-hommes.
Pour le gouvernement, c’est un changement culturel majeur : il s’agit d’amener les directions à repenser la carrière de leurs collaborateurs sur le long terme, plutôt que d’envisager la sortie dès 58 ou 59 ans.
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L’entretien professionnel devient un véritable « entretien de parcours »
Autre mesure phare : la refonte de l’entretien professionnel, rebaptisé entretien de parcours. Ce rendez-vous obligatoire, déjà en place tous les deux ans, sera désormais articulé avec la visite médicale de mi-carrière, autour de 45 ans.
L’objectif est clair : anticiper les évolutions de compétences, détecter les besoins de reconversion et préparer plus tôt la seconde partie de vie professionnelle. L’entretien de parcours devra permettre d’identifier les aspirations du salarié, ses freins éventuels (santé, conditions de travail, obsolescence des compétences) et les dispositifs mobilisables (CPF, bilan de compétences, période de reconversion).
Ce nouvel outil, selon le ministère du Travail, doit éviter les ruptures brutales et les départs contraints. Il s’agit d’offrir à chaque salarié une trajectoire maîtrisée et adaptée à ses capacités, plutôt que de subir la fin de carrière comme une fatalité.
Le contrat de valorisation de l’expérience : une innovation très attendue
Parmi les nouveautés les plus commentées figure la création du contrat de valorisation de l’expérience (CVE). Ce dispositif expérimental vise à faciliter le retour à l’emploi des seniors au chômage.
Il s’agit d’un CDI à durée adaptée, réservé aux demandeurs d’emploi âgés, qui permet d’accéder à un emploi stable tout en prévoyant une sortie souple à l’âge du taux plein de retraite.
En clair : un salarié de 59 ans pourrait être embauché avec un contrat qui prend fin automatiquement lorsqu’il atteint ses droits complets à la retraite, sans précarité ni rupture brutale.
Ce modèle, salué par les partenaires sociaux, ambitionne de sécuriser la dernière étape du parcours professionnel tout en répondant aux besoins des entreprises qui peinent à recruter sur certains postes qualifiés.
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Fin de carrière : des aménagements plus souples et mieux indemnisés
Autre avancée majeure, la loi ouvre de nouvelles possibilités d’aménagement du temps de travail pour les seniors. Les entreprises pourront désormais proposer des réductions progressives d’activité, sans perte excessive de revenu.
Une innovation clé : la possibilité d’affecter l’indemnité de départ à la retraite au maintien partiel de rémunération. En pratique, un salarié en fin de carrière pourrait étaler son passage à la retraite en douceur, avec un complément de salaire financé par cette indemnité.
L’idée est de rendre la transition vers la retraite plus fluide, tout en permettant aux salariés expérimentés de continuer à transmettre leur savoir. Cette approche s’inscrit dans une logique gagnant-gagnant : les entreprises conservent leurs compétences stratégiques, tandis que les salariés bénéficient d’une fin de parcours plus confortable.
La « période de reconversion » : un nouveau levier financé par les OPCO
La loi crée aussi une période de reconversion interne ou externe, financée par les OPCO (opérateurs de compétences). Ce dispositif, mobilisable à tout âge mais prioritaire pour les plus de 55 ans, permettra à un salarié de se former sur un nouveau métier tout en conservant sa rémunération.
Le Compte personnel de formation (CPF) pourra être utilisé en complément, pour renforcer la flexibilité du parcours. Les entreprises, de leur côté, sont incitées à encourager ces reconversions pour répondre à leurs besoins de recrutement dans des métiers en tension.
Cette mesure illustre une conviction partagée par tous les signataires de l’ANI : le maintien dans l’emploi passe avant tout par la formation et la mobilité professionnelle, pas seulement par les incitations fiscales.
Une mise en œuvre progressive jusqu’en 2028
Si l’essentiel du texte s’appliquera dès le 1er janvier 2026, certaines dispositions, notamment celles liées à la gouvernance, seront déployées progressivement jusqu’en 2028.
Un calendrier étalé qui vise à laisser aux entreprises le temps de s’adapter, de former leurs responsables RH et de construire de nouveaux accords collectifs.
Le gouvernement prévoit aussi la création d’un observatoire national de l’emploi des seniors, chargé d’évaluer les résultats du dispositif et de proposer des ajustements. Les premières données devraient être publiées en 2027, afin de mesurer l’efficacité réelle de la loi sur le taux d’emploi des 57-64 ans.
Un pari politique sur fond de vieillissement démographique
En toile de fond, cette réforme répond à un défi démographique majeur. D’ici 2030, près d’un quart de la population active française aura plus de 55 ans. Maintenir ces travailleurs en activité devient un enjeu économique et social incontournable, notamment pour financer le système de retraites.
Le gouvernement espère qu’en valorisant les seniors, la France rejoindra enfin le peloton européen. Car pour l’instant, le pays reste en retard : selon Eurostat, le taux d’emploi des 60-64 ans dépasse 50 % en Allemagne, contre 36 % seulement en France.
Cette loi marque donc une étape stratégique dans la modernisation du marché du travail. Mais sa réussite dépendra de sa mise en pratique : former les managers, combattre les stéréotypes liés à l’âge, et garantir des conditions de travail adaptées aux réalités physiques et mentales de la seconde partie de carrière.